MANUEL RUCAR, CRÉATEUR DE CHLOROSPHÈRE, CABINET D'ANALYSE DES TENDANCES « Il en faut parfois peu pour faire décoller les ventes d'une entreprise »
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Le fait d'analyser les tendances du marché reste assez nouveau pour la filière. L'Aparté tendances que vous avez organisé, le 15 avril dernier à Paris, rend admiratif ou agace mais ne laisse pas indifférent. Quels enseignements en tirez-vous ?
La détection des tendances est un processus nouveau pour la filière horticole a contrario des autres secteurs, comme la mode, où l'on y a recours de manière très courante, voire systématique. L'Aparté tendances est pour la filière une opportunité unique de se réunir une fois par an pour avoir accès aux condensés des tendances identifiées pour les saisons à venir. C'est aussi l'occasion de se confronter entre professionnels et d'échanger sur nos activités, puisque c'est l'une des rares occasions où fleuristes, paysagistes, producteurs, centrales, collectivités, médias, fabricants et instances se côtoient et ont accès à un même niveau d'information. Le recours aux tendances et aux évolutions du marché est très stratégique pour les entreprises, car cela leur permet de gagner une longueur d'avance et de minimiser les risques. Les 20 % supplémentaires d'entreprises présentes à notre Aparté du 15 avril dernier, par rapport à l'an passé, confirment qu'elles n'ont jamais eu autant besoin de se rassurer sur l'avenir.
Quels sont les principaux messages que vous avez cherché à faire passer ?
Notre démarche est complètement neutre et objective. L'Aparté est un événement organisé dans sa totalité par Chlorosphère où n'intervient aucun partenaire, sponsor ou influence de quelque nature que ce soit. Notre métier nous confère à l'heure actuelle une expertise des secteurs du végétal, du paysage et du jardin. Associée à notre approche comportementale du consommateur, notre connaissance du marché devient un réel enjeu pour nos clients. Il ne s'agit pas de vouloir connaître toutes les tendances et de se dire qu'en les suivant toutes, l'entreprise connaîtra un succès commercial. Il s'agit de bien comprendre qui est sa cible pour ensuite se positionner sur la ou les tendances qui lui correspondent. Une couleur, une collection, un nom de marque, une palette végétale, une bonne idée... Il en faut parfois peu pour faire décoller les ventes d'une société. Le tout est d'avoir le bon produit au bon moment et pour la bonne cible... c'est là que nous intervenons !
Le quotidien de notre équipe est d'identifier les futures tendances et notre tendanceur aide les professionnels à les intégrer à leur offre de produits et/ou de services.
Quelle est la portée que vous espérez, pour votre travail, à terme ?
L'idée de cet Aparté tendances est de montrer que notre filière peut être attrayante et dynamique. Il est difficile de convaincre des acteurs, qui ont toujours exercé jusqu'à présent sans cette démarche, de l'importance stratégique des tendances. C'est un travail de longue haleine qui a mis pas moins d'une vingtaine d'années à s'imposer dans la mode, la décoration, l'alimentaire. Donc, nous savons que pour notre filière à forte inertie, il faudra du temps. Mais nous sommes convaincus que, si un grand nombre d'acteurs s'en saisissent, c'est toute la filière horticole qui fera un bond en avant en rajeunissant son image auprès de la nouvelle génération de consommateurs ! C'est une façon de travailler et d'aborder la filière que certains ont plus de mal à accepter que d'autres !
Plusieurs estiment que ces analyses sont, au final, assez subjectives. Que leur répondez-vous ?
Que nous pouvons leur montrer le contraire ! Notre approche des tendances est volontairement objective et neutre. Si elles étaient imaginées en fonction de nos goûts, un processus naturel ferait que l'on reviendrait plus ou moins aux mêmes choses. L'intérêt, pour nous, n'est pas de partager notre goût avec les entreprises, mais bien de rester sur celui des consommateurs. Nous cherchons justement à faire prendre du recul aux sociétés qui exercent leur choix encore trop souvent en fonction de leur propre goût et non de celui de leur clientèle, ce qui est une grave erreur... Il nous arrive très souvent de nous retrouver face à un client déçu du non-succès d'un produit qu'il juge beau. La difficulté est de lui faire prendre conscience qu'un produit beau pour lui ne le sera pas forcément pour sa cible. Notre méthode de détection englobe tout un processus scientifique précis avec la constitution d'un algorithme tenu secret permettant de faire émerger les tendances identifiées en interne. Nous caractérisons finement chaque nouveauté détectée à travers le monde dans notre filière mais aussi dans toutes les autres ; soit près de 500 informations traitées par jour ! Nous acquérons de nombreuses analyses sectorielles qui sont enrichies par une étude des consommateurs via leurs habitudes de vie, leurs comportements, etc. Pour parfaire la récolte d'informations, nous disposons également d'un réseau de sentinelles qui scrutent pour nous des secteurs d'activité ou des pays. Ce sont des personnes de confiance habitant dans d'autres pays et officiant dans d'autres secteurs et qui démultiplient notre travail.
Pour plonger les professionnels dans l'univers très visuel d'un cabinet de tendances, nous allons organiser une soirée backstage où tout le monde pourra découvrir les coulisses de notre métier, à l'occasion du prochain Salon du végétal, le mercredi soir.
L'horticulture est composée de structures assez petites. N'est-il pas compliqué pour elles de tirer bénéfice de votre travail ?
Il est évident que l'atomisation de la production ne l'aide en rien, mais nous travaillons aussi indirectement avec les entreprises de la filière que nous côtoyons lors de conférences, de débats, de réseaux ou d'autres manifestations et rassemblements.
Nous avons la chance et la capacité de travailler avec tous les acteurs, quelle que soit leur taille. Ce peut être très en amont avec le sélectionneur variétal pour l'accompagner dans la création d'un produit ou, au contraire, en temps réel, en travaillant sur la mise en scène d'une vitrine de fleuriste. Nous nous adaptons au cas par cas.
Producteurs et distributeurs se situent-ils, selon vous, sur le même pied d'égalité quant à l'exploitation des tendances ?
En ce qui concerne ces deux types d'acteurs, leur utilisation des tendances va être une question de timing. Pour les producteurs, elle doit se faire bien en amont pour laisser le temps à la chaîne de production d'opérer et éviter qu'à sa finalisation, le produit ne soit obsolète. Quant aux distributeurs, ils peuvent jouer sur cette temporalité en incluant très tôt les tendances dans leurs choix de produit (N-2) ou a contrario plus tard dans la scénographie et la mise en scène des espaces de vente (jusqu'à six mois à l'avance).
Comment imaginez-vous le point de vente végétal de demain ?
Il doit suivre les mêmes évolutions que ses secteurs cousins : des gammes courtes, hyper ciblées, à rotation rapide avec des volumes en flux tendus. Le point de vente deviendrait un showroom de l'offre réfléchie et raisonnée pour s'insérer dans les tendances de toute la société, et ne pas rester en marge. Il faut arrêter de tout vouloir vendre, tout le temps et pour tout le monde. La clef est dans le positionnement, la segmentation et le ciblage pour une vraie stratégie.
Nos analyses du marché et des consommateurs montrent que les points de vente de végétaux vieillissent et sont en demande de renouvellement, aussi bien du point de vue des consommateurs que des enseignes elles-mêmes. Nous avons initié cette démarche consistant à mettre en scène les espaces de vente en rédigeant un livre blanc qui a été diffusé à l'occasion du Salon du végétal 2014. Notre idée a été de travailler sur cette appréhension de la scénographie par les chefs de rayon, etc., pour en faire ressortir les enjeux actuels. Nous y avons d'ailleurs associé un appel à projets permettant à tout acteur de poser sa candidature à une revalorisation de son espace de vente. Cette initiative nous permet aujourd'hui d'échanger avec de potentiels investisseurs du secteur, voire au-delà, qui pourraient être à l'origine d'une prochaine révolution dans le concept de la distribution végétale.
Dans tous ces mouvements de consommation et de mode, quelles sont la place et la valeur données au végétal ?
Les tendances sont aussi réelles que le sont les évolutions des attentes des consommateurs. Le végétal est encore actuellement trop sanctuarisé et complexifié aux yeux du consommateur. Noms latins, conseils d'entretien, risques, maladies, croissance..., c'est devenu anxiogène de parler du végétal pour la cible des personnes de 25-50 ans. Ces dernières, encore très peu visées par les professionnels, sont les grandes oubliées. Alors, qu'en sera-t-il demain ? Il est clair qu'il ne faut pas mystifier la plante. Il ne faut pas vendre un Acer palmatum, il faut vendre une touche nippone... On n'installe plus un massif d'annuelles, on installe un espace parfumant, fleuri et attirant les abeilles. Si l'on raisonne « bénéfice consommateur » et non « produit », que l'on passe d'une logique de proposition de l'offre à une logique de réponse à la demande, le végétal retrouvera des parts de marché dignes de faire vivre cette profession de passionnés convaincus de détenir une pépite entre les doigts mais encore frustrés d'être incompris du grand public.
Propos recueillis par Pascal Fayolle
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